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En prison, la santé des détenu.e.s mise à mal 

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Ignorée dans les campagnes présidentielles, la question du difficile accès aux soins dans les prisons touche plus de 63 000 personnes en France. Céline, Emma* et Silvia, ex-détenues, témoignent de cette triste réalité, particulièrement difficile pour les personnes incarcérées au quartier des femmes.

Ils n’ont pas pris en charge ma santé”, se désole Emma*. Cette ex-détenue a passé presque sept années de sa vie en prison. Entrée avec des problèmes de santé, elle a vu son état se dégrader petit à petit. Aujourd’hui, elle est “en sursis, médicalement parlant.” Selon la loi de janvier 1994, les détenu.e.s ont le droit à un accès au soin égal à chaque citoyen et citoyenne libre. Un droit qui peine à être appliqué dans le milieu carcéral et la période du covid-19 en est un bon exemple : “Il a fallu qu’on ait recours à des mutineries pour avoir accès aux masques et au gel hydro-alcoolique pendant la crise sanitaire. Alors que l’environnement était hyper propice à la propagation du virus”, s’insurge Céline. Ils ou elles sont parfois plusieurs dans de petites cellules de 9m2, sans aération, avec un accès à l’hygiène limité. Le manque d’accès aux protections sanitaires n’est pas le seul problème. Elle ajoute que “les protections hygiéniques sont payantes, ce qui posent problèmes aux personnes qu’ils appellent “indigentes”, c'est-à-dire aux détenu(e)s qui n’ont pas de ressources financières. Ça les plongent dans une grande précarité menstruelle et surtout d'hygiène. C’était le cas de Silvia qui, en arrivant à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, était indigente et n’avait pas de serviette hygiénique dans son lot. Emma souligne qu’au centre de détention de Mulhouse, "les protections hygiéniques peuvent mettre des mois à arriver”

 

“Ils oublient que l’on est des êtres humains”

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Le système est identique à chacune des prisons. Tout accès à l’hygiène ou au service de santé passe par l’administration et le personnel pénitentiaire. Chaque détenu.e doit écrire en détail sur un bout de papier, les raisons qui la poussent à consulter un médecin. Le personnel doit ensuite le transférer au service de santé. Cette méthode questionne la garantie du secret médical : “C’est sûr que les surveillantes lisent ce qu’on écrit. Parfois, elles sont au courant des maladies que les détenu(e)s ont, c’est pas normal”, explique Silvia. ”Vous pouvez me dire que c’est pour ma sécurité, très bien. Mais alors demandez-moi mon avis si j’autorise les surveillantes à avoir accès à mon dossier médical”. 

 

Au centre de détention de Joux-la-Ville, les détenu.e.s assigné.e.s femmes n’ont accès au service médical que deux demi-matinées dans la semaine, “au-delà de ça, c’est réservé aux hommes. En prenant l’excuse de notre petit nombre, ils justifient le fait que l’on a moins d’accès aux soins”. Une inégalité importante qui impacte ces dernièr.e.s. Un rendez-vous peut mettre plusieurs semaines à avoir lieu. En cas d’urgence, les détenu.e.s doivent prévenir les surveillantes, et c’est elles qui prennent la décision ou non d’appeler du personnel soignant. “Il faut que ça soit vraiment grave. Si c’est une grippe, une angine ou autre, pour les surveillantes c’est rien. Au mieux, t’as des dolipranes. Mais elles n’acceptent pas que tu passes par un médecin”, précise Céline. Cette situation est à l’origine d’un perpétuel rapport de force entre personnel pénitentiaire et détenu.e.s qui tentent de faire respecter leurs droits. Une situation souvent en défaveur de ces prisonnier.ère.s, qui ne se sentent même plus considéré.e.s: “Ils oublient qu’on est des humains. Pour eux, on est des bouts de papiers, on est des numéros”, se désole Emma*, la voix tremblante.

 

“La prison est la première dealeuse de France”

 

À Joux-la-Ville, commune de Bourgogne, se trouve une prison pouvant accueillir jusqu’à 600 détenu.e.s : 500 places sont accordées aux “hommes”, 100 sont réservées aux “femmes”. Céline a vécu une partie de son incarcération là-bas, de décembre 2019 à juillet 2021. Mais avant, c’est à la maison d’arrêt de Limoges que tout commence. “Quand on arrive en prison, et que l’on se présente au service médical comme nouvelle arrivante, la première chose qu’on te propose c’est des somnifères ou des antidépresseurs. C’est ce qui m’a choqué.” Voilà ce que dénonce Céline lorsqu’on parle du système de santé en prison. “Dans le quartier des “femmes”, les médicaments génèrent un gros trafic, dans le seul but de mieux gérer son quotidien carcéral : pouvoir dormir la nuit,  faire en sorte que le temps passe plus vite dans la journée”. Sans porter aucun jugement aux personnes qui ont recours aux médicaments, Céline critique principalement le système pénitentiaire, qui est le seul responsable : “la prison est la première dealeuse de France”. Supposant que cette dérive médicamenteuse est due à un manque de moyens, elle reste très critique face à cette réalité. “Le service pénitentiaire donne ces médicaments pour avoir une tranquillité. Une tranquillité qui rend dépendant.e.s des centaines de personnes”.

 

Un point de vue que partage également Emma*, incarcérée en juin 2014. Alors que son moral est au plus bas, le personnel soignant de la maison d’arrêt d’Epinal lui prescrit directement des médicaments. “Je ne tenais plus debout. J’étais là, assise toute la journée les yeux fermés. Si j’ai tenu, c’est grâce aux filles qui m’entouraient (les autres détenu.e.s, nldr) et à une surveillante qui a dit un jour : “Stop on arrête ce traitement”. Céline dénonce férocement cette manière de traiter les personnes incarcérées : “on accorde plus facilement des médicaments que de l’écoute”. Un problème de système, qui ne concerne pas seulement l’accès à un suivi psychologique, mais qui touche l’accès aux soins médicaux plus largement. 

 

Les présidentielles : “Comme d’habitude rien ne va changer

 

Les conditions de vie des prisonnier.ère.s sont très peu évoquées dans l’espace public, même en cette période de présidentielles. “On en a jamais parlé et je pense qu’on n’en parlera pas pendant longtemps.” se désole Céline. Pourtant, certain.e.s personnalités politiques décident d’aller à la rencontre de ces femmes et hommes. En septembre 2021, le ministre de la Justice s’est rendu à la Ferme d'Emmaüs Baudonne, où se trouve Emma*: “J’attends de voir ce qu’il compte faire. Moi j’étais une femme battue, violée et la justice a oublié mon cas.” Plaidant pour une justice qui réinsère par le travail, sa venue n’a pas convaincue l’ex-détenue : “pour la justice, j’étais une criminelle, alors que j’étais une victime avant tout ”. 

 

Tous.te.s dénoncent un système défaillant sur l’accès aux soins des femmes en prison. Pourtant, elles ne portent que peu d’espoir dans les élections présidentielles : “comme d’habitude rien ne va changer”, s’indigne Emma*. Ecœurée par le système judiciaire français, elle n’est pas davantage convaincue par la situation politique : “Je n’ai plus l’envie de donner ma voix, de donner de l’importance à cette justice. Elle ne le mérite pas”. Sans se reconnaître dans la politique actuelle, Silvia admet qu’il faudrait un changement : “l’accès au soin devrait être plus direct. On ne devrait plus passer par les surveillantes et pouvoir s’adresser directement au personnel soignant”. “Dans tous les cas, la prison ça brise une personne”, conclut Céline, avec tristesse et colère.

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* Les prénoms ont été changés 

**En milieu carcéral, l’identité de genre est mal prise en compte. Certaines personnes assigné.e.s “femme” à la naissance, mais se définissant comme homme ou non-binaire se retrouvent incarcéré.e.s dans les quartiers en fonction de leur genre indiqué sur leur carte d'identité. 

 

Podcast : En prison, la santé des détenu.e.s mise à mal 

Silvia nous livre de plus ample informations sur le système de soins dans les prisons et ses conséquences parfois terribles...

Podcast : en prison, la santé des détenu.e.s mise à mal
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