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Présidentielle et hôpital public : " Il faudra se battre "

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Entre politiques d’austérité, dégradation des conditions de travail, accès aux soins limité… Qu’attendre des élections présidentielles ? Flow-our a mené l’enquête auprès de celles et ceux qui paient quotidiennement les pots cassés d’un hôpital public en crise.

Ce matin, Véronique* enfile sa tenue d’agent de service hospitalier (ASH), sans perdre de temps. La journée va être dense. À l'hôpital d’Auxerre, dans le service qu’elle occupe depuis un an, elles ne sont que deux à occuper une série de missions prévue pour trois personnes. “Celle qui n’est pas là est en arrêt parce qu’elle a un cancer du sein. Le planning est plus chargé et aucun remplacement n’est prévu”, se désole Véronique*. Alors cette mère de famille s’organise : “C’est serré et compliqué”, mais a-t-elle vraiment le choix ?
Le manque d’effectif est sans doute un des principaux problèmes pour le personnel hospitalier, mais il est loin d’être le seul. L'insécurité de l’emploi est un autre enjeu majeur. Cela vous semble impossible ? Et pourtant, il devient de plus en plus difficile d’obtenir le statut de fonctionnaire. Axelle est une jeune infirmière, diplômée depuis juillet 2020, en poste depuis près d’un an dans le service psychiatrique d’un hôpital rennais. Elle enchaîne les CDD d’un mois, puis de trois mois. La fin de son dernier contrat approche et Axelle s’impatiente. Elle ne sait toujours pas s'il sera prolongé : “on vit toujours un peu dans la peur, on se demande si on va pouvoir garder notre travail. Pourtant, il y a des besoins d’embauche, dans les hôpitaux ! Mais on a le sentiment d’être en permanence sur la sellette.”

Entre insécurité de l’emploi et plannings instables 

Embaucher du personnel soignant contractuel est une pratique courante dans la profession. Fabienne, infirmière, est à un an de la retraite. Depuis qu’elle a démarré dans le monde hospitalier, les choses ont bien changé, "Aujourd'hui, il faut entre cinq et six ans pour obtenir le statut de fonctionnaire” précise-t-elle. Fraîchement diplômé, le personnel soignant passe au moins trois ans à voguer de CDD en CDD. Un mois, trois mois, six mois pour les plus chanceux.ses. Après ces quelques années d’errance dans les méandres de l'insécurité de l’emploi, les infirmier.ère.s sont “mis(es) en stage” pendant deux ans. Dans la fonction publique, le stage est une période probatoire destinée à “vérifier l’aptitude du fonctionnaire à exercer ses fonctions”, selon le site officiel de l’administration française. A la fin du stage, l’agent a vocation à être titularisé. La quête du “Saint Graal du statut de fonctionnaire” ne semble jamais s’arrêter. 

Insécurité de l’emploi rime souvent avec instabilité de planning. Lors de ses premiers mois, Véronique* changeait d’horaires toutes les semaines, parfois du jour au lendemain : “Avec ma fille, c’est compliqué de m’organiser. J’ai dû aller voir ma responsable pour que ça change et qu’ils me fassent des plannings au mois.” Pourtant, il arrive encore que son téléphone sonne, par surprise, quand l'hôpital a besoin d’elle. La jeune Axelle a “des horaires qui changent tous les jours”.
Précarité de l’emploi, manque d’effectif, instabilité du planning : le personnel soignant est dans un état de fatigue physique et moral avancé. Malgré tout, ils et elles ne lâcheront pas. “Je suis encore motivée, mais je suis surtout inquiète et en colère pour mes jeunes collègues qui prendront le relais”, conclut Fabienne. 
 
Les présidentielles seront-elles à la hauteur des attentes ?

Si le covid-19 a eu un effet positif, c’est d’avoir (re)mis la santé au cœur du débat public. Selon Vincent Vioujas, directeur d’hôpital et chercheur associé au centre de droit de la santé, cette thématique occupe une place importante dans la campagne des élections présidentielles, et ce, beaucoup plus qu’en 2017. La pandémie a confirmé au grand public la crise de l'hôpital public. Les médias se sont emparés de cet enjeu et ont contribué à l’inscrire dans l’agenda politique.
Pourtant, une question demeure : “un tel sujet de préoccupation sera-t-il traité à la hauteur des attentes lors de ces élections présidentielles ?”, s’interroge Vincent Vioujas. De son côté, Véronique* hésite : “Peut-être que ça peut changer, ça dépendra de qui est élu(e)” Si elle a de l’espoir, l’ASH reste amère sur la campagne présidentielle : “les politiques sont tous et toutes les mêmes”. 
Fabienne envisage également ces élections avec ambivalence. Si cette syndicaliste, "résolument de gauche” a été très déçue en 2017, elle “espère beaucoup de changements pour 2022” et revendique son vote pour Jean-Luc Mélenchon. Pour Fabienne, la première mesure à prendre est de titulariser tous.te.s les contractuel.le.s, c'est-à-dire d’accorder le statut de fonctionnaire à tous.te.s les soignant.e.s en CDD ou en CDI parce "qu'ils sont dans des situations très précaires alors que l’hôpital ne peut pas fonctionner sans eux.
Axelle, plus jeune et récemment entrée dans la profession, place beaucoup d’espoir dans les élections de 2022. Après les nombreuses manifestations des soignant.e.s, elle espère que la santé sera un enjeu central pendant les élections. Si le nombre de personnels a augmenté depuis la loi Ségur, pour Axelle, c’est loin d’être suffisant : “les moyens doivent être mis en place pour prendre en charge les patients et patientes dans leur entièreté et pour que la qualité des soins soit maximum.

On vit toujours un peu dans la peur, on se demande si on va pouvoir garder notre travail. Pourtant, il y a des besoins d’embauche, dans les hôpitaux !

Béatrice*, infirmière de 41 ans, propose une analyse plus temporelle et voit une dégradation importante de l’hôpital public sur ces vingt dernières années. Pour elle, ce sont aussi les techniques managériales qui ont changé et qui cherchent “l’individualisme de chaque infirmier et infirmière au lieu de créer une équipe solidaire”. Si Béatrice* espère que les élections présidentielles apporteront du changement à ses conditions de travail et à la crise du système de santé, elle reste réaliste et sait “qu' il faudra se battre.” “La situation qu'on subit aujourd’hui est le résultat de politiques de santé destructrices, depuis Xavier Bertrand, Roselyne Bachelot, et tous ou toutes les ministres de la santé successifs ”, ajoute Fabienne. 
 
Une crise qui touche directement les écoles de soignant.e.s

Depuis que je fais mes recherches sur l'hôpital et que j’y travaille à l’intérieur, j'entends parler de cette crise. Aujourd’hui encore et avec une ampleur beaucoup plus accentuée”, déplore Vincent Vioujas. Cette aggravation de la situation est fulgurante en dépit d’une succession de changements opérés dans le secteur. La sociologue Fanny Vincent se questionne sur le terme même de crise : “n’est-ce pas une construction pour légitimer des réformes ?” Cette sociologue du travail et de la santé, accuse les différentes réformes imposées au système de santé français depuis les années 1980 (cf. l’encadré à la base). 
Sur les vingt dernières années, il y a eu des démissions en cascade du côté des personnels. Environ 20 % des lits d'hôpitaux sont fermés parce qu’il n’y a pas assez de soignant.e.s, selon les données du ministère de la Santé. Cela rend compte du malaise profond des salarié.e.s. "On risque d'avoir une vague de désertion des soignants et soignantes qui va encore s'aggraver", déclare Isabelle Desguerre sur France Info lors d’une manifestation du personnel hospitalier le 4 décembre 2021. Cette cheffe du service pédiatrie de l’hôpital Necker à Paris, pointe une triste réalité, qui risque de ne pas s’arranger. 
La crise du métier hospitalier touche directement le recrutement des étudiant.e.s. Les personnes formées au métier se font rares. Entre autres, les écoles d’aides soignant.e.s, n’arrivent pas à pourvoir la totalité des places disponibles. Sur les quatre dernières années, en France, le nombre de candidat.e.s inscrit.e.s représente moins de 40% de la capacité d'accueil possible. Les étudiant.e.s qui sortent de ces écoles vont par la suite très vite arrêter le métier, au vu des conditions de travail et de rémunération précaires. 
Malheureusement, à chaque établissement qui ferme, ce sont des patient.e.s qui ne peuvent plus être pris.e.s en charge à temps. Les déserts médicaux ne cessent de croître, alors que le nombre de patient.e.s augmente, comme le confirme l’enquête d’Odoxa de 2018.
Une situation qui ne cesse de s’aggraver dans un contexte de crise sanitaire. Les salarié.e.s se retrouvent dans l’obligation de faire des heures supplémentaires par rapport à l’augmentation des charges de travail ; devant s’occuper des patient.e.s covid en plus de celles et ceux qu'ils et elles prenaient en charge tant bien que mal. Ces horaires sont en décalage par rapport à leur rythme de vie, ce qui constitue une charge psychologique supplémentaire, pour ces personnes qui pratiquent des métiers pour le moins pénibles, explique Vincent Vioujas :  “l’Etat doit faire face au défi de revalorisation de ces métiers”.

C’est en ce sens qu’ont été signés les accords du Ségur de la santé en juillet 2020, qui ont permis de mobiliser un fond de 7,6 milliards d'euros. Ces accords prévoient des mesures salariales dans le but de revaloriser les métiers de service public de santé, entre autres. Néanmoins, si l’on doit se tenir aux témoignages recueillis par Flow-our sur la crise de l'hôpital, la question du salaire n’en est qu’un des aspects. Autant dire que la maladie dont souffre l'hôpital public nécessite une intervention urgente aussi soignée que conséquente.


*Les prénoms ont été changés 

Podcast : l'hôpital public en danger

L’hôpital public en danger, c’est l’accès aux soins à des millions de citoyen.nes qui est en jeu. Les patient.e.s n’échappent à aucun des maux dont fait l’objet le système de santé, ils et elles en sortent victimes. Dans ce podcast, vous pourrez entendre la voix de Vincent Delorme, responsable de Service à France Asso Santé et représentant de ces patient.e.s, ainsi que celle de Fabienne qui vit au quotidien la crise de l’hôpital public.

L'hopital public en danger
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